La chambre sociale de la cour de cassation a statué depuis 2008 sur la grande majorité des contrats à forfait jours des conventions collectives, elle a prononcé la nullité de la quasi-totalité de ces contrats et redéfini les frontières-contours qui doivent être ceux d’un contrat au forfait jour acceptable. En 2014, 13,3% des salariés des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole ont leur temps de travail décompté sous forme d’un forfait annuel en jours, avec une croissance moyenne de leur nombre de 4 % par an. En restreignant les formes que peuvent prendre ces contrats maintenant ouverts aux non-cadres (200 000 en 2014), la chambre sociale instaure un risque sur le passé mais également impose des règles contraignantes pour l’avenir.
Le risque encouru par l’employeur est le paiement rétroactif sur 3 ans de toutes les heures supplémentaires supposées au delà des 35 heures par semaine et sans modulation. Mais ce sont également la réfection totale des fiches de paye et des déclarations pendant ces trois années. Le risque porte jusqu’à deux ans après une mise en conformité du contrat, donc après l’éventuel départ ou la retraite du collaborateur ! L’employeur subit la charge de la preuve des jours et même des horaires pratiqués par ses employés au ‘forfait jours’. Il n’existe plus de preuve ‘équilibrée’ pour l’établissement des horaires pratiqués sous un forfait jour puisque les horaires quotidiens et journaliers ne sont plus ceux fixés préalablement à 2008 par l’article 3121-45.
Pour contrer la révision par la loi du 20 août 2008 et son article 3121-48 qui promulgue l’abstraction des limitations horaires journalières ou hebdomadaires pour les forfaits jours, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation s’est appuyée sur la loi du 9 novembre 2010 qui concerne l’aménagement des postes de travail et a publié le jugement suivant : Le code du travail, en son article L.4121-1, impose à l’employeur de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Il incombe à l’employeur de garantir l’application de ces normes et en cas de litige, d’en démontrer l’application effective. Ainsi… la charge de la preuve doit reposer exclusivement sur l’employeur qui doit démontrer qu’il s’est libéré de son obligation. Un indice de plus pour ceux qui vitupèrent autour de la complexité du code du travail. La chambre sociale de la Cour de Cassation pousse les cours d’appel à se référer aux articles 3 à 6 b de la directive Européenne de 2003 dont les minima , hors cas particuliers, sont : repos quotidien mini de 11 h, repos hebdomadaire mini de 24 h + 11 h, durée moyenne de travail sur 4 semaines de 48h (seule cette dernière obligation fait référence à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs) .
Deux grands axes se dégagent pour l’avenir des arrêts publiés: d’une part le suivi des jours travaillés, de leur amplitude et de la répartition de la charge de travail pour garantir le droit à la santé, la sécurité et au repos ainsi que l’équilibre de vie, et d’autre part la définition des contours de la preuve de l’autonomie des bénéficiaires des forfaits jours.
Dans la plupart des TPE, PME ou collectivités territoriales, le ‘forfait jours’ a un rôle opérationnel dans les équipes, en complément d’un rôle fonctionnel. Il vient compléter ou couvrir des besoins apportant une pluridisciplinarité souvent à forte technicité. Le ‘forfait jours’ offre la souplesse, de ses jours travaillés non forcement planifiés, de son amplitude quotidienne et hebdomadaire étendue et des heures qu’il réalise en plus malgré un nombre de jours travaillés plus faible (62 heures en moyenne annuelle pour les non-cadres). Se pose avec les recommandations de la Chambre sociale un double problème : réaliser le pointage de l’activité avec un mode prévisionnel puisque la cassation demande une action préventive, sans mettre en cause l’autonomie, tout en permettant l’insertion dans une planification collective de l’activité opérationnelle sans dépasser un quota d’heures prévisionnelles imposées qui contraindrait l’autonomie (cas du croupier) SIC…
Planifier et pointer un ‘forfait jours’ nécessite de prendre en compte l’absence de contrainte de lieu et de temps qu’induit fréquemment son activité. Le planning planifié, quel qu’il soit, doit pouvoir être modifié par le ‘forfait jours’ lui-même, puisque c’est une clause de sa preuve d’autonomie. Le constat du réalisé nécessite que sur le lieu où le travail est exécuté, le ‘forfait jours’ puisse corriger et valider rapidement son planifié. Heureusement avec l’évolution numérique, il existe un moyen lorsque joindre une assistante par téléphone est obsolète : l’auto-validation des agendas partagés sur son mobile (Gmail etc…). La solution de partage d’agenda/planning est complexe et peu adaptée à un pointage rapide, à des mises à jour fréquentes et à des sommes d’heures pour contrôler des seuils de compteur. Elle est tolérable si l’autonome travaille seul. Mais dans le cadre d’une planification globale, collective et surtout fréquemment optimisée des heures de présence pour couvrir évolution des besoins et des disponibilités, elle est lourde et non réactive. L’agenda/planning est alors remplacé par des outils simplifiés avec des pointages plus automatisés sur mobiles. De tels produits sont sortis et sont plus adaptés à un usage qui couvre identiquement toutes les populations employées. En tout état de cause pointage et planification sont indispensables pour respecter les demandes de suivi et d’actions préventives pour garantir le droit à la santé, la sécurité et au repos ainsi que l’équilibre de vie alors que pour un grand nombre de cadres notamment commerciaux, ils n’étaient même pas pratiqués.
Le ‘forfait jours’ peut-il maîtriser seul, au titre de son autonomie, son planifié ?
L’écarter dans la couverture des besoins pour une planification collective, c’est recourir à un opérationnel excédentaire où le cadre ou non cadre opérationnel aurait pu couvrir le besoin. L’introduire dans sa capacité horaire totale pour couvrir les besoins met en question son autonomie. La proportion de planning planifié couvrant des besoins imposés par l’organisation qu’autorise la cassation est encore mal définie. De toutes façons, la maîtrise finale du planifié hors directives justifiées par l’intérêt de l’entreprise doit être laissée au cadre ou non-cadre forfaitisé. La norme de la cassation se situe entre les cadres dits intégrés dans les plannings imposant leur présence … ce qui était antinomique avec la notion de cadre autonome (Cass. soc., 31 octobre 2012) et ceux pour lesquels une soumission partielle ou ponctuelle à un horaire n’affectera pas la validité du forfait. L’autonomie dont bénéficie le salarié ne l’autorise pas à refuser d’appliquer les directives de son employeur, d’autant plus quand elle est justifiée par l’intérêt de l’entreprise et provisoire (Cass Soc 2 juillet 2014)
Alors comment paramétrer les variables de durée hebdomadaire qu’il convient d’allouer à de la planification imposée (intégrée) ?
La capacité globale de travail hebdomadaire peut être ciblée sur 48h pour une durée de travail constaté moyenne chez les ‘forfait jours’ de 44,6 heures (Dares). La répartition entre temps opérationnel planifié et autres temps fonctionnel doit prendre en compte la notion de soumission partielle et provisoire – donc non récurrente-. Préconiser, un temps opérationnel planifié ciblé à 30 heures avec un maximum à 40 heures auxquelles sont adjointes des heures fonctionnelles sur les mêmes jours pour compléter sur une cible à 44 heures et un maxi à 48 heures, est un compromis acceptable. Le ‘forfait jours’ est libre de travailler la cible en jour des semaines travaillées pour la faire fluctuer entre 5 et 3 jours et combiner non récurrence avec une exploitation optimisée des journées gagnées par la diminution des jours travaillés liée aux forfaits jours.
Pas si simple maintenant d’intégrer dans une TPE/PME des contrats en forfait jours, pourtant si bénéfiques pour les deux parties. Il faut non seulement les planifier (même les commerciaux) mais limiter le pourcentage de planification contrainte et pointer avec des outils instantanés capables de synthétiser des sommes d’heures. Autonomie n’est ni liberté ni responsabilité.