La mesure emblématique de la loi Aubry sur les nouvelles formes d’organisation qui devait partiellement compenser l’effet 35 heures, était la modulation horaire. Comprendre par-là, compenser des minorations horaires liées à des périodes de faibles activités, par des majorations horaires liées à des fortes activités sans incidence sur les salaires mensuels ni recours au chômage partiel. Depuis, tous les gouvernements se sont penchés tels une bonne fée sur le berceau espérant une sortie salutaire à cette mesure, largement encadrée par la chambre sociale de la Cour de Cassation.
Aubry l’a créée, Sarkozy l’a renommée, l’a rendue applicable et l’a étendue à une forme par défaut d’accord, la modulation sur 4 semaines (qui a permis à la Poste de faire travailler 39 heures les 2 semaines avant Noël sans majoration salariale), le binôme Hollande/El Khomri remet l’ouvrage sur le métier poussant à 16 semaines la forme par défaut d’accord de la modulation et étendant à 3 ans de la période maximale de solde minoration/majoration.
Pourquoi tant d’attentions sur cette forme d’organisation qui, certes, a vu en 15 ans 80 % des conventions collectives adopter des accords (50% en 2005), mais moins de 10% des PME/TPE la mettre en application. A l’opposé,en Amérique du Nord, elle tisse sa toile sous la forme des AWS (Alternative Work Schedule).
L’observateur externe y trouvera deux explications : l’absence de conscience des bénéfices que les PME/TPE pourraient partager avec leurs employés, ou bien la mise en place des pratiques de gré à gré souvent teintées de détournement de règlement par ignorance de l’existence d’une loi d’encadrement.
Brève comparaison des deux systèmes, sans et avec modulation, côté employeur et côté employé. Sans modulation, le salarié voit toutes ses heures supplémentaires au-delà de 35 heures surpayées (10%, 25% ou 50%), en contrepartie les heures supplémentaires sont d’exécution obligatoire (et oui, sauf abus), les heures planifiées en dessous des 35 heures si la période est longue, sont payées sous le régime du chômage partiel (70%) et couvertes par un fond à 90 % par l’indemnisation sur base du SMIC+20%. En modulation, toute hausse de l’activité ne donne pas droit à heure supplémentaire (sauf dépassement d’un seuil souvent négocié autour de 44 heures), et identiquement à la période de basse activité, elle offre un salaire régulier sur la base 35 heures. Mais un délai de prévenance est obligatoire pour les changements d’amplitude (sauf que si vous atteignez le seuil des heures supplémentaires, celles-ci retrouvent le caractère obligatoire). En sortie de période au maximum annuelle (Sarkozy) ou tri annuelle (Hollande), l’excédent est payé sur la base des heures supplémentaires (plus taxées au-delà d’un seuil). Chaque système présente donc ses avantages, mais du point de vue de l’emploi, et de l’efficacité des équipes, la modulation offre une régulation autour d’une équipe constituée sur la base de l’horaire moyen, alors que dans les PME peu structurées pour mettre en chômage partiel, l’emploi sera basé sur les besoins de la période de basse activité hors congés, tout en évitant en période de forte activité de dépasser les 42 heures seuil de la majoration à 50%. Le surplus sera pris en charge par de l’Interim. Économiquement, l’entreprise modulée pour 50% à 28 heures et pour 50% à 42 heures, aura dépensé pour un besoin moyen de 10 employés, 10 salaires et donné un emploi à 10 salariés , l’entreprise non modulée aura dépensé pour le même besoin pour les 8 salariés permanents à 35 heures, plus heures sup et compléments CDD, un équivalent de 10,3 salaires (10,2 si taxation des heures supplémentaires à 10%) et donné un emploi à 9 salariés (dont 2 CDD de 6 mois avec heures sup) (50% de 7 h sup+ 21 h d’Interim en moyenne sur l’année). L’écart est donc faible, 2 à 3% mais alors quel est le gain pour la PME, sachant que les RH sont réticents à tenir les décomptes propres à la modulation ? Si en plus on observe que dans 60% des cas étudiés de mise en place de modulation, les plannings sont organisés par le management terrain sur des bases basses supérieures à 31 heures individuelles, dont les réserves constituées ne couvriront que partiellement les absences et les congés (pris en périodes basses) et les périodes fortes (le gain sera alors de 1%).
C’est dans l’équilibre de vie personnelle et professionnelle, avec les possibilités de souplesse offertes aux employés pour moduler personnellement et complémentairement leurs horaires – notamment grâce à l’élasticité sans surcoûts de la réserve de modulation (heures moyennes hautes moins seuil heures sup en modulation) – que l’entreprise y trouve son avantage avec 70% d’absentéisme subit en moins.
Dans les faits la modulation est nécessaire pour permettre des organisations horaires plus flexibles alors que la durée du travail baisse et que l’amplitude de présence augmente. C’est l’ouverture d’un verrou d’organisation qui permet aux AWS (organisations alternatives de la planification) de connaitre tant d’essor en Allemagne et Amérique du Nord. L’objectif de l’emploi n’est pas atteint, mais c’est une porte ouverte pour les besoins de flexibilité partagés entre employeurs et employés.